FRACTURES by FREDERIC RUYANT

du 8 avril au 4 juin 2011

Calme, lumineux, grandes ouvertures : les cinq pièces présentées sont parfaitement domestiques. Une table, un guéridon, une console, un vase, un luminaire : les dénominations annoncent les typologies connues, la petite famille de la maison bien rangée. La réunion de meubles et d'objets dont les sonorités mêmes suggèrent l'ordre immuable et semblent parfois si désuètes. Comme si elles voulaient, à l'oreille, tempérer une émotion d'un autre ordre.

Une sérénité en émane encore puisqu'elles appartiennent clairement à une même famille. Calme suspect une fois de plus, lorsqu'elles se refusent à composer cette déclinaison qui serait de l'ordre assagi de la gamme. L'apparentement est plus subtil. Dans le design comme en d'autres matières, nous savons que ce qui se donne tout de suite est rarement ce qui importe le plus. Parce que ces réalisations ne sont pas tout à fait pacifiées, et que l'innocence de leurs fonctions tait leur inquiétude.

Ces cinq pièces sont des bouleversements qui ont enfilé le costume tranquille des usages banals de la maison. Ce sont des éclats, provisoirement stabilisés peut-être, préférant la civilité à la démonstration bruyante, choisissant une écriture tenue au bruit violent. Le caractère intempestif de leur trait est contenu. La délicatesse de Frédéric Ruyant ne le porte pas à la sauvagerie. Les travaux s'inscrivent de cette façon dans une permanence de sa sensibilité.

Ruyant dit : une image de banquise à l'âge de la dislocation a nourri une première émotion. L'universalité blanche et la texture même du corian© employé en témoignent encore. La perception du designer n'est pas étrangère à des phénomènes d'un ordre agité, d'une nature peut-être menaçante : pacifiques, ces pièces le sont donc certainement, mais elles traduisent dans leurs lignes ces ruptures qui sont autant d'échos de mouvements en cours. Le rythme produit par le dessin des pièces n'entretiendra plus de rapport immédiat avec l'émerveillement polaire initial - ou une éventuelle terreur, puisque les phénomènes naturels ont désormais le goût des catastrophes - si vous en décidiez différemment. Suprématiste dans son abstraction, cette série est en premier lieu le produit d'un rythme, ou c'est un rythme qui s'y lit. Dans ses ruptures, issu de ces breaks sans lesquels la musique ne serait que la potion liquide des parkings souterrains ; dans ces cassures qui interdisent au design de n'être que l'enjoliveur de besoins au départ plutôt innocents.

Ce rythme est écho de la dynamique propre à ces meubles, lorsque l'asymétrie du dessin ou son déséquilibre apparent semblent menacer la stabilité de la pièce. Ni frénésie ni agitation, ce mouvement est généré par la vibration des volumes géométriques assemblés, la promesse visuelle de forces distinctes à l'oeuvre, les tensions contradictoires qu'indiquent le sens des découpes de ses plaques. Le caractère lisse du corian et l'absence de cicatrice, d'aucune couture ou assemblage, la légèreté associée à la masse qu'il autorise ici, sont autant de caractères qui rassurent aussi bien qu'ils ajoutent au mystère. Ce qui est tout sauf contradictoire : à la beauté possible du design il faut croire, non comprendre.

PIERRE DOZE AVRIL 2011

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